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L'école autrichienne d'économie, la dynamique de l'économie.

La relance keynésienne

26 Octobre 2019 , Rédigé par Le blog autrichien

Le keynésianisme a une influence énorme en économie. Il formate largement la pensée commune en la matière. Il revient régulièrement dans l’actualité. Sous la forme de la relance keynésienne, mais aussi sous la forme de la politique monétaire, et, finalement sous la forme de multiples avatars. Examinons ici ce véritable phénomène.

 

La demande crée l’offre

Pour comprendre l’origine du keynésianisme, allons à la source, c’est-à-dire le célèbre livre de John Maynard Keynes, sorti en 1936, théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie. C’est dans ce livre qu’il développe sa théorie de la relance par la demande. Toute la théorie repose sur la réfutation de la loi de Say, ainsi appelée en référence au grand économiste français Jean-Baptiste Say. Keynes écrit :

 

Depuis J.B. Say et Ricardo les économistes classiques ont cru que l’offre crée sa propre demande, ce qui veut dire en un certain sens évocateur mais non clairement défini que la totalité des coûts de production doit nécessairement, dans la communauté entière, être dépensée directement ou indirectement pour l’achat de la production.

 

Ceux que Keynes nomme les économistes classiques, ce sont à la fois les classiques et les néoclassiques. La théorie qui était courante à son époque. Selon Keynes, donc, la loi de Say signifie que l’argent dépensé dans la production se retrouve dans la demande, et qu’ainsi l’offre crée la demande.

 

Keynes soutient alors le contraire. L’argent n’est pas forcément dépensé. Et l’épargne, ce n’est pas de la demande, mais de la thésaurisation. Par conséquent, l’offre ne peut pas créer la demande. Il faut donc soutenir la demande, en injectant de l’argent dans l’économie.

 

Injecter de l’argent dans l’économie a par ailleurs un effet multiplicateur. Quand un montant est injecté dans l’économie, soit par des investissements publics, ou par de l’argent distribué pour la consommation, la demande augmente. Les producteur voient cette demande augmenter, donc ils produisent plus. Ce qui entraîne des dépenses supplémentaires, en fournitures pour la production, en salaires. Les fournisseurs voient leur demande augmenter et investissent à leur tour. En raison de toutes ces dépenses supplémentaires, il y a une augmentation de la demande en n+1, qui entraîne les mêmes effets, et ainsi de suite, sachant que chaque augmentation de la demande est inférieure à la précédente, car une partie de l’argent gagné est épargné, et non réinjecté dans l’économie.

 

Une révolution en économie

Le keynésianisme est une véritable révolution en économie. En effet, il change complètement la manière dont est abordée la théorie économique. Avant Keynes, la science économique partait de l’individu, de l’être humain. La théorie néoclassique modélisait mathématiquement le comportement économique de l’individu, et en tirait des conséquence au niveau de l’économie dans son ensemble. Avec Keynes, on est tout de suite au niveau globale On raisonne en terme de grands agrégats : demande globale, offre globale, c’est-à-dire demande de l’ensemble du pays étudié, offre de l’ensemble du pays étudié.

 

Cette approche s’est généralisée, et on parle aujourd’hui de macroéconomie. Les théories économiques dominantes aujourd’hui sont toutes de la macroéconomie. Mêmes les théories opposées au keynésianisme ont une approche macroéconomique.

 

Le keynésianisme s’est très rapidement développé, à partir de 1936. Or, il a coïncidé avec la période de construction de l’appareil statistique en matière de comptabilité nationale, notamment après la deuxième guerre mondiale. Ainsi, l’indicateur le plus surveillé est celui… de la demande ! Le niveau de la demande globale est considéré comme crucial pour la croissance économique.

 

De même, les termes keynésiens s’imposent dans le vocabulaire économique. La loi des débouchés est ainsi résumée par la maxime : l’offre crée sa propre demande. Les politiques non keynésiennes, qui ne visent pas à augmenter la demande globale, mais à faciliter la vie des entreprises, en allégeant la réglementation par exemple, sont appelées politiques de l’offre.

 

Le keynésianisme ainsi connu un succès fulgurant dans la science économique. Pourtant, ses bases sont complètement fausses.

 

La loi de Say dénaturée

Jean-Baptiste Say n’a jamais prétendu que l’offre créait sa propre demande. Il n’a jamais prétendu que les dépenses générées par la production créaient une demande pour la production elle-même. Au contraire, il combat l’idée même que la circulation de la monnaie crée la demande. Say écrit :

 

Les entrepreneurs de diverses branches d’industrie ont coutume de dire que la difficulté n’est pas de produire mais de vendre ; qu’on produirait toujours assez de marchandises, si l’on pouvait facilement en trouver le débit. Lorsque le placement de leurs produits est lent, pénible, peu avantageux, ils disent que l’argent est rare (...).

 

L’homme dont l’industrie s’applique à donner de la valeur aux choses en leur créant un usage quelconque, ne peut espérer que cette valeur sera appréciée et payée que là où d’autres hommes auront les moyens d’en faire l’acquisition. Ces moyens, en quoi consistent-ils ? En d’autres valeurs, d’autres produits, fruits de leur industrie, de leurs capitaux, de leurs terres : d’où il résulte, quoiqu’au premier aperçu cela semble un paradoxe, que c’est la production qui ouvre des débouchés aux produits.

 

La bonne formulation de la loi de Say, c’est que les produits s’échangent contre des produits. Sachant que Say, en avance sur son temps, inclut aussi les services. Ce sont juste les bases de l’économie que Say rappelle, n’ayant jamais prétendu que ce soit une loi d’ailleurs, l’expression "loi de Say" étant venue bien après sa mort. D’ailleurs, Ludwig von Mises écrit à propos de la loi de Say :

 

Maintenant, il est important de réaliser que ce qui est appelé la loi de Say était en premier lieu conçu comme une réfutation de théories populairement tenues dans les temps précédant l’économie comme une branche du savoir humain. Ce n’était pas une partie intégrante de la nouvelle science économique telle qu’elle était élaborée par les économistes classiques.

 

Say ne fait que formuler ce qui est la base de l'économie : l'échange. Si une personne A veut un produit p, que détient une personne B, elle va l'échanger contre un produit que veut B. C'est le principe de l'inégalité de l'échange. La valeur attribuée au produit échangé est différente pour les deux protagonistes. Chacun se sépare de quelque chose qui a moins de valeur pour lui que ce qu'il acquiert.


 

Si on introduit la monnaie, on constate que l’échange se fait à l’aide d’un bien intermédiaire, comme l’or, chacun ne pouvant avoir ce que l’autre désire. Ou encore, l’acheteur établit une reconnaissance de dette à l’égard du vendeur, ce dernier allant l’escompter à une banque (anciennement un comptoir d’escompte), contre de l’argent. La loi de Say s’applique à une économie de troc comme à une économie monétaire (ce qui ne signifie pas que la monnaie serait neutre).

 

Cette interprétation de la loi de Say par Keynes était peut être dans l’air du temps. Steven Kates, dans son ouvrage Say’s law and the keynesian revolution, a décrit l’évolution de la loi de Say. Sous l’influence de la mathématisation de l’économie, la loi de Say n’a plus été comprise comme une illustration de l’échange, mais comme une égalité mathématique.

 

Un exemple d’une nouvelle interprétation de la loi de Say cité par Steven Kates est celle de Becker et Baumol :

 

Becker et Baumol commencent par faire trois distinctions : entre la "loi de Walras", "l’identité de Say" et "l’égalité de Say". La loi de Walras stipule que la valeur total de tous les biens et services demandés (monnaie incluse) est identiquement égale à la valeur total de tous les biens et services offerts (à nouveau en incluant la monnaie). L’identité de Say est définie d’une manière équivalente à ce que Lange et Patinkin faisait référence en tant que loi de Say. C’est la proposition que la demande totale de monnaie pour les biens et les services est identiquement égale à la valeur en monnaie du total de l’offre de biens et services. Finalement, l’égalité de Say est définie par la proposition que "l’offre créera sa propre demande" non en dépit de l’évolution du niveau des prix mais en raison de celle-ci. Le processus est décrit par Becker et Baumol ainsi :

 

Un excès d’offre de biens, obtenu en perturbant l’équilibre du marché par une réduction de cash, provoquera une baisse du niveau général des prix jusqu’au point où l’excès de demande pour la monnaie est éliminée, puisque le niveau des prix baissera tant que et seulement tant qu’il y a une demande en excès pour (l’insuffisance offre de) cash.

 

Ce que l’on remarque dans cette interprétation de la loi de Say c’est à la fois l’influence kyenésienne, et la volonté de faire rentrer cette loi dans le paradigme d’équilibre. C'est-à-dire dans des égalités mathématiques.

 

Or, Say considérait l’économie comme une science humaine. Tout comme l’école autrichienne d’économie, qui part de l’individu. L’économie mathématique a tendance à mal interpréter la loi de Say, car elle oublie ce qu’il y a dans un échange.

 

L’évolution de l’économie vers les mathématiques peut expliquer la dénaturation de la loi de Say. Néanmoins, on pourrait s’étonner qu’une base aussi fragile que le keynésianisme ait servi à une nouvelle présentation de la science économique, à savoir la macroéconomie.

 

En fait, la macroéconomie pose des hypothèses, qu’elle vérifie par l’exploitation de statistiques. Par exemple, on va étudier l’impact d’une politique de relance. On pense ainsi se passer d’une réflexion préalable. Et que les conclusions dépendent totalement des hypothèses de départ, et engendrent des théories différentes selon ces hypothèses, toutes vérifiées empiriquement, n’a jamais provoqué une remise en question des méthodes, ni de l’épistémologie.

 

Les effets des politiques de relance

La légende veut que le keynésianisme ait permis de sortir de la crise de 1929. C’est une pure légende. Déjà, l’ouvrage de Keynes est paru en 1936. La crise était commencée depuis longtemps. Keynes a plutôt servi à justifier des politiques de dépenses publiques déjà engagées. Et il ne fut pas forcément d’accord avec tout ce qui fût fait durant cette crise.

 

Examinons brièvement la politique menée pendant et après la crise de 1929. La légende veut que le président Hoover n’ait rien fait, serinant que la prospérité était au coin de la rue. Puis, Roosevelt est arrivée, sauvant les USA par son New Deal. La vérité est plus complexe, et ce n’est pas ici qu’elle sera déroulée. Dans le cadre de cet article, ce qu’il convient de dire, c’est que le président Hoover a mené une politique de relance avant la lettre. Il a notamment fait pression sur les entreprises pour que les salaires ne baissent pas. Roosevelt n’a fait que continuer la politique de déficits publics.

 

L’économie US n’a pas connu une grande reprise avec la dépense publique. Elle a évolué cahin caha, entre croissance et dépression. Les dépenses publiques liées à la deuxième guerre mondiale ont ensuite entraîné le plein emploi. Puis, après la guerre, une politique totalement différente fut menée. La dépenses publiques a été réduites, drastiquement. Le commerce international a été encouragé, avec les accords du GATT. Une certaine stabilité monétaire a été recherché, avec la création du FMI, et en liant les monnaies au dollar, lui même lié à l’or. Le contraire de ce qui avait été fait dans les années 30, avec le protectionnisme et les dévaluations compétitives. Et l’après guerre connut les trente glorieuses.

 

En France, la relance de l’économie est venue de l’application de la plupart des recommandations du célèbres rapport Armand-Rueff. Totalement anti keynésien !

 

Les politiques de relances keynésiennes ont été appliquées dans les années 1970. Avec des résultats tout aussi catastrophiques. Le Royaume-Uni a même dû appeler le FMI à l’aide. La relance de 1974 en Fra nce n’a pas non plus été un succès. Les résultats des politiques keynésiennes ont été catastrophiques. A tel point qu’elles ont été abandonnées, pour ce qu’on a appelé, toujours dans des termes keynésiens, une politique de l’offre. La France a tenté un baroud d’honneur en 1981, couronné par un échec retentissant, et aboutissant au tournant de la rigueur. Bien sûr, on a accusé le fait que les autres pays européens n’ont pas mené la même politique de relance au même moment pour expliquer l’échec français. Les échecs des années 1980 ont été oubliés.

 

Le keynésianisme aujourd’hui

Le keynésianisme est encore très prégnant dans la pensée économique actuelle. Par exemple, en matière de politique monétaire. Les taux d’intérêt sont maintenus bas pour relancer l’économie. On dit parfois que c’est une politique monétariste. Ce qui est faux. Le monétarisme préconise une augmentation modérée et régulière de la masse monétaire, pas une hausse et une baisse des taux en fonction de la conjoncture économique. La confusion provient du livre que Milton Friedman, un des pères du monétarisme, a écrit avec Anna Schwartz, sur l’histoire de la monnaie aux USA. Il y est dit que la banque centrale des USA, la Fed, a aggravé la crise en 1929 en diminuant masse monétaire. Ce qui a servi de justification à des politiques de manipulation de taux à l’égard desquelles Milton Friedman n’était pas d’accord.

 

Mais la justification principale à la baisse des taux en période de crise et d’injecter de l’argent dans l’économie, comme le voulait Keynes. On dit que ça favorise l’investissement par les entreprises et les ménages. La justification officielle de la politique de taux bas est d’injecter de l’argent dans l’économie. La justification réelle étant peut-être de permettre aux états de s’endetter, ce qui est également une politique keynésienne.

 

Le keynésianisme a aussi sa responsabilité dans la crise de 2008, dites crise des subprime. La bulle internet des années 1990 avait éclaté. Les keynésiens considéraient qu’une nouvelle bulle serait bénéfique pour l’économie. Ainsi, le prix Nobel d’économie Paul Krugman écrivait :

 

Pour combattre cette récession la Fed a besoin d’une hausse importante des dépenses des foyers pour compenser la défaillance de l’investissement privé. [Ainsi] Alan Greenspan a besoin de créer une bulle immobilière pour remplacer la bulle du Nasdaq. (Krugman, 2002, appelant à une bulle immobilière) (La bulle du Nasdaq est la bulle internet.)

 

A l’époque, on parlait d’un effet richesse. Avec la hausse de l'immobilier, les gens se sentiraient plus riches, et dépenseraient plus. Ce qui relancerait l'économie. Le paradoxe, c’est que l’effet richesse est une expression d’Arthur Cecil Pigou, professeur de Keynes, honni par par ce dernier, et qui ne considérait pas qu’il fallait injecter de l’argent dans l’économie pour la relancer. Le résultat de cette politique de bulle immobilière a été une crise sans précédent depuis 1929.

 

Aujourd’hui se développe une nouvelle théorie monétaire moderne, Modern Monetary Theory (MMT) en anglais. En gros, quand un état contrôle sa monnaie,il peut dépenser comme il veut, pour soutenir l’économie. Cette doctrine ne semble pas soutenue par les keynésiens, comme Krugman. Les keynésiens doivent naviguer entre leur doctrine et le fait que trop de création monétaire entraîne l’hyperinflation, ce qu’ils ne contestent pas.

 

Un vieux débat

Ce qui est extraordinaire, c’est que, finalement, c’est toujours le vieux débat sur le rôle de la monnaie qui est d’actualité. Say disait :

 

Les entrepreneurs de diverses branches d’industrie ont coutume de dire que la difficulté n’est pas de produire mais de vendre ; qu’on produirait toujours assez de marchandises, si l’on pouvait facilement en trouver le débit. Lorsque le placement de leurs produits est lent, pénible, peu avantageux, ils disent que l’argent est rare.

 

Tout tourne autour de la monnaie. Certains considèrent qu’il suffiraient de créer de la monnaie pour créer de la croissance. Concept très populaire, de la relance économique facile et sans effort. Est-ce cette facilité qui la rende récurrente, et que les politiciens la popularisent ?

 

Le keynésianisme n’est rien d’autre qu’un avatar d’un vieux débat, toujours récurrent, favorisé par le populisme : il suffit de distribuer de l’argent pour relancer l‘économie et créer des emplois. Keynes n’a rien inventé. Comme le souligne Mises, Keynes a mis un verni scientifique sur des politiques courantes depuis longtemps.

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